Contrairement à sa blonde voisine, dont la candidature était vouée à l’échec, Karim Guerdane a commencé par avoir un programme avant de se décider à se présenter. Et tous ses rivaux reconnaissent qu’il a vu juste.
Petite piqûre de rappel à tous ceux qui ne circulent que dans le périmètre doré de Biarritz : Plus de 3 000 Biarrots vivent en dessous du seuil de pauvreté, soit 13% des habitants de cette ville. Ce chiffre, tout proche de la moyenne nationale qui est à 14,7% a été évoqué lors du débat télévisé de France 3 et il ne doit plus sortir de l’esprit de tous les candidats qui seraient tentés de s’imaginer que Biarritz est une ville d’ultra-privilégiés. Karim Guerdane a été le premier à se rendre compte que l’environnement, le débat sur les eaux de baignade ou le tourisme de masse, sujets municipaux majeurs qui méritent réflexion, ne devraient pas faire oublier tous les laissés pour compte de la Macronie triomphante, ceux qui vivent les fins et parfois les débuts de mois difficiles et qui voient l’écart avec les plus riches s’accroître sans cesse.
Fort de la conviction que le devoir d’un futur maire est d’aider ces plus démunis, Karim Guerdane a eu la modestie d’aller d’abord frapper à toutes les portes où on l’a accueilli avec parfois un peu de condescendance.
Discussions chaleureuses avec les Abertzale, mais « le poids de leur structure a fait que je ne pouvais m’intégrer » puis tentative de liste commune avec Marine Batiste, sa voisine de Saint-Charles, avant de se rendre compte que lui seul pouvait incarner les valeurs de gauche qu’il porte. Avec un effet inattendu et qui l’enchante. Le parti socialiste s’est allié à lui « sans condition ». Les autres listes se sont aussi rendus compte de la justesse de son propos et ont réinjecté des mesures sociales dans leur programme. Rencontre au « Cyrano » avec ce candidat qui gagne vraiment à être connu.
– Tu es né à Biarritz ?
– Je suis né en 1976 à Bayonne, mais j’ai été élevé à Biarritz. Je suis un enfant de la grande plage.
– Tu as été politisé très jeune ?
– Je suis passé entre les gouttes très longtemps. Biarritz était un cocon. Mais j’ai eu le déclic au collège Rostand avec mon prof d’histoire, Monsieur Filho, puis en première au lycée Malraux avec une professeur de français, Madame Libaros. Les deux m’ont donné envie de lire et d’apprendre.
– Concrètement, ça a donné quoi ?
– La littérature m’a ouvert des horizons, m’a fait penser la société autrement. J’ai dévoré Camus mais aussi les grands auteurs américains avec une conscience sociale comme John Steinbeck. Comme beaucoup de familles maghrébines, mes parents lisaient peu, car ils n’ont pas eu la chance d’aller à l’école. Et, comme beaucoup, ils ont travaillé durement toute leur vie et n’ont pas eu le temps de se former à autre chose.
« J’étais juste quelqu’un qui aimait parler politique à l’apéro »
– Et l’histoire ?
– J’ai lu beaucoup de choses concernant la seconde guerre mondiale, les guerres coloniales et naturellement l’histoire m’a entraîné en direction de la politique. Je suis passé entre les gouttes longtemps, comme je te le disais, mais en même temps dès la première ou la terminale, je commençais à m’intéresser aux mouvements basques. Ensuite, j’ai cherché à comprendre ce que faisaient Julien Dray ou Harlem Désir, mais j’étais trop jeune pour percevoir le mouvement SOS racisme. D’un point de vue personnel, et même s’il a apporté beaucoup, je l’ai trouvé réducteur et manipulé ensuite.
– Tu as eu des engagements politiques auprès d’un parti ou d’un mouvement ?
– Non, je n’ai jamais pris ma carte à un parti. (Rires) J’étais juste quelqu’un qui aimait beaucoup parler politique à l’apéro. Mes activités professionnelles étaient accaparantes. J’ai été journaliste et éditeur avant d’avoir une pizzeria, puis de redevenir journaliste. Avec la naissance de mon deuxième enfant, j’ai pris conscience de beaucoup de choses et j’ai estimé que je devais m’engager pour tenter d’offrir à ma descendance un monde meilleur.
– Concrètement, tu as fait quoi ?
– J’ai pris mon bâton de pèlerin et je suis allé voir les gens. Je me suis rendu compte que beaucoup partageaient mon point de vue, avaient le sentiment d’une société injuste et sans pitié pour les plus démunis, avec une insupportable mainmise des notables sur les strates de la vie locale. Mais de là à s’engager, il restait un sacré pas à faire. Il a fallu que je dise aux gens « C’est le moment, on y va ! ». Finalement, j’ai pu constituer un groupe de réflexion d’environ soixante-dix personnes et, malgré les pressions ou les menaces bien réelles que certains de mes colistiers ont subies, nous avons pu déposer notre liste en préfecture.
– Tu vas axer ta campagne sur les plus pauvres ?
– Nous avons appelé notre liste Biarritz-Bonheur car nous voulons que la bienveillance soit toujours présente entre élus et citoyens. Le social pour moi ce n’est pas que les plus démunis. La classe moyenne à Biarritz c’est une précarité qui ne dit pas son nom ! Mais mon grand projet, dans une logique de social et de progrès est un projet numérique ultra-innovant. Je veux prouver que social et modernité peuvent coexister. Que le numérique peut servir l’humanisme. Je vais dévoiler tout cela la semaine prochaine.
– La campagne électorale se passe bien ?
– C’est une campagne électorale avec son lot de bonnes et de mauvaises surprises. Il y a des gens, au vu de ma photo, qui me répondent : « Niet ! », parce qu’un arabe ne saurait être un candidat valable à la mairie. Mais, de la même façon que j’ai assez peu souffert du racisme dans mon enfance et que je me suis toujours senti un petit Biarrot, la majorité des réactions nous sont très favorables. On nous félicite d’oser nous lancer, de soutenir les plus pauvres. Le ralliement du Parti socialiste, sans poser la moindre condition, nous a fait un plaisir énorme et nous nous sommes sentis légitimés dans nos revendications. En fait, cette campagne me fait énormément de bien dans mon identité et en croisant les électeurs, je peux me dire : « Je suis Biarrot ».
– Et si au soir du premier tour, tu ne l’emportes pas, tu fais quoi ?
– (Karim se marre franchement) Au cas improbable où je ne serais pas élu maire dès le premier tour, je verrai comment faire perdurer alliance constructive ou combat en parallèle sous d’autres formes.
Un candidat plus préoccupé par le triomphe de ses idées que par son propre triomphe électoral, voilà qui est rare en politique. Il n’a décidément rien à voir avec sa blonde voisine de Saint-Charles et son apparition météorique dans la campagne électorale avant un pitoyable retrait.